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Les grands jardins hydroponiques de l’anneau extérieur de l’Académie grouillaient habituellement de cadets pendant leurs heures libres. Pourtant, le secteur 7, avec ses plantes médicinales rares et son atmosphère particulièrement humide, restait généralement désert. C’est là que Phi avait donné rendez-vous à Jules et Toma.
« Tu es sûre qu’il acceptera de nous voir? » demanda Jules, nerveux, en suivant sa sœur à travers les allées de plantes exotiques aux feuillages luxuriants.
« Le Professeur Émérite Kepler ne donne plus de cours officiels depuis des années, » expliqua Phi. « Mais il est toujours consultant pour l’Académie. Et surtout, il est connu pour s’intéresser aux phénomènes… inexpliqués. »
Toma, qui marchait derrière eux en tapotant sur sa tablette portable, leva les yeux. « J’ai fait quelques recherches sur lui. Kepler était l’un des plus grands Navigateurs Stellaires de sa génération. Il a cartographié plus de soixante systèmes stellaires inexplorés avant de prendre sa retraite. Certains disent qu’il est devenu ermite après avoir vu quelque chose d’étrange lors de sa dernière mission. »
« Super rassurant, » marmonna Jules, sentant un orbe lumineux frôler son oreille.
Ils arrivèrent devant une structure en forme de dôme, à moitié envahie par la végétation. Phi frappa à la porte, qui s’ouvrit avec un sifflement pneumatique après quelques secondes.
L’intérieur contrastait fortement avec l’extérieur négligé. L’espace était rempli d’équipements de navigation stellaire à la pointe de la technologie, de cartes holographiques, et d’étranges appareils dont Jules ne pouvait même pas deviner la fonction. Au centre de la pièce, assis dans un fauteuil antigravitationnel qui flottait légèrement au-dessus du sol, se trouvait un vieil homme.
Le Professeur Émérite Kepler avait une barbe blanche qui lui descendait jusqu’à la poitrine et des yeux d’un bleu si pâle qu’ils semblaient presque translucides. Il portait l’ancienne tenue des Navigateurs Elite : une combinaison argentée ornée de constellations brodées. Sur son œil droit, il portait une lentille cybernétique qui émettait une faible lueur bleue.
« Ah, Cadette Philippine, » dit-il d’une voix étonnamment forte pour son apparence fragile. « Et tu as amené ton frère, je présume? » Ses yeux se fixèrent sur Jules avec une intensité troublante.
« Comment savez-vous…? » commença Jules.
« Que tu es son frère? Ou que c’est toi qui vois les Orbes du Disperseur? » interrompit Kepler avec un sourire énigmatique.
Jules resta bouche bée. « Vous… vous savez ce que sont ces lumières? »
Kepler fit un geste de la main, et son fauteuil s’approcha d’eux. « Le Disperseur est une entité cosmique rare, mais pas inconnue. J’en ai rencontré une lors de ma dernière expédition dans le système Proxima Centauri. C’est ce qui m’a coûté ma carrière… et presque ma santé mentale. »
Toma échangea un regard inquiet avec Phi. Jules, quant à lui, s’avança.
« Qu’est-ce que c’est exactement? Pourquoi je suis le seul à le voir? »
Kepler se leva de son fauteuil et se dirigea vers un appareil qui ressemblait à un télescope, mais avec de multiples lentilles et prismes.
« Le Disperseur est une forme de vie énergétique qui se nourrit d’attention dispersée, » expliqua-t-il en ajustant l’appareil. « Il est attiré par les esprits particulièrement vifs et curieux – ceux qui ont un grand potentiel mais qui peinent à canaliser leur énergie mentale. »
Il fit signe à Jules de s’approcher et de regarder dans l’appareil. « Cette lentille spectrale permet de voir les fréquences d’énergie normalement invisibles à l’œil humain. »
Jules regarda dans l’oculaire et retint son souffle. Il pouvait voir les orbes lumineux, mais aussi les filaments d’énergie qui les reliaient à son propre corps, en particulier à sa tête.
« Le Disperseur s’attache à toi et absorbe ton énergie mentale chaque fois que ton attention vacille, » poursuivit Kepler. « Plus il se nourrit, plus il devient puissant, créant un cycle de distraction toujours plus intense. »
« Comment puis-je m’en débarrasser? » demanda Jules, alarmé.
« Tu ne peux pas simplement ‘l’éliminer’, » répondit Kepler en secouant la tête. « Le Disperseur fait maintenant partie de toi. Mais tu peux apprendre à le contrôler. »
Le vieil homme s’approcha d’une étagère et en sortit un petit appareil circulaire qu’il tendit à Jules. « Ceci est un Focaliseur Neuronal. C’est un dispositif que j’ai développé après ma propre rencontre avec le Disperseur. Il émet une fréquence qui aide à maintenir la concentration. »
Jules examina l’objet, qui ressemblait à une sorte de badge métallique gravé de symboles complexes.
« Mais ce n’est qu’une aide temporaire, » avertit Kepler. « Le vrai travail doit venir de toi. Tu dois apprendre à reconnaître quand le Disperseur prend le contrôle et développer des techniques mentales pour le contrer. »
Il guida Jules à travers un premier exercice de focalisation, lui enseignant à visualiser son esprit comme un vaisseau spatial et le Disperseur comme une tempête d’astéroïdes qu’il devait traverser avec précision.
Après une heure d’entraînement, Jules réussit à maintenir sa concentration suffisamment longtemps pour que les orbes s’atténuent significativement.
« Impressionnant pour une première tentative, » nota Kepler. « Mais le Disperseur reviendra, plus fort et plus rusé. Il faudra continuer à pratiquer. »
Alors qu’ils se préparaient à partir, Kepler s’arrêta soudainement, fixant Jules avec une intensité renouvelée. « Il y a une chose que je ne comprends pas. Le Disperseur choisit rarement quelqu’un d’aussi jeune. Il est généralement attiré par des esprits plus matures, qui ont développé des… capacités spéciales. »
« Quelles capacités? » demanda Phi, curieuse.
Kepler ne répondit pas directement. À la place, il se tourna vers Jules. « Dis-moi, jeune homme, y a-t-il des moments où les orbes disparaissent complètement? Des activités pendant lesquelles tu ne les vois pas du tout? »
Jules réfléchit un moment. « Quand je regarde les cartes stellaires, » dit-il finalement. « Ou quand je lis sur les explorateurs spatiaux et leurs découvertes. C’est comme si… tout le reste disparaissait. »
Kepler hocha la tête, un sourire se dessinant sur son visage. « Comme je le pensais. Ce n’est pas juste un hasard si le Disperseur t’a choisi. Tu as un don naturel pour la navigation stellaire, une capacité intuitive rare. Le Disperseur l’a senti… et il le craint. »
« Il le craint? Pourquoi? »
« Parce que lorsque tu atteindras ton plein potentiel, tu ne seras plus vulnérable à ses distractions. Tu pourrais même apprendre à utiliser son énergie à ton avantage. »
Alors qu’ils quittaient le dôme, Kepler appela Jules une dernière fois.
« Une dernière chose, jeune Novastella. Il existe un endroit appelé le Nexus de Concentration, un point dans l’espace où la réalité et la pensée se rejoignent. C’est là que le Disperseur est le plus vulnérable… mais aussi le plus dangereux. Si tu veux vraiment maîtriser cette entité, c’est là que tu devras te rendre un jour. »
Sur le chemin du retour vers leurs quartiers, les trois amis discutaient de leur rencontre.
« Un Nexus de Concentration? » dit Toma, sceptique. « Ça semble sortir tout droit d’un roman de science-fiction. »
« Tout comme un alien fait de lumière qui se nourrit d’attention, » répliqua Phi. « Pourtant, Jules les voit bien. »
Jules, quant à lui, restait silencieux, tournant et retournant le Focaliseur Neuronal entre ses doigts. Pour la première fois depuis son arrivée à l’Académie, il sentait un espoir renaître. Les orbes étaient toujours là, mais plus discrètes, comme si elles se méfiaient du petit appareil qu’il tenait.
Ce qu’aucun d’eux ne remarqua, c’était la forme lumineuse qui les suivait à distance, observant, analysant. Le Disperseur avait évolué depuis sa première apparition. Il commençait à développer une conscience plus complexe, et quelque chose dans ses nouvelles pensées ressemblait étrangement… à de la peur.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 32