Le crépuscule enveloppait la Forêt Miroitante d’une lumière dorée et pourpre. Les troncs argentés des arbres scintillaient, créant des jeux d’ombres et de reflets qui transformaient le paysage en un labyrinthe lumineux. Philippine suivait Iana à travers ce dédale enchanteur, Céleste trottant calmement derrière elles.
« Nous approchons de l’épreuve, » annonça Iana alors qu’ils arrivaient devant une arche naturelle formée par deux arbres entrelacés.
Au-delà de l’arche s’étendait une clairière parfaitement circulaire. En son centre se dressait un immense miroir, haut comme trois hommes, encadré d’argent finement ciselé de runes anciennes. Sa surface ne reflétait pas la clairière, mais ondulait comme de l’eau argentée.
« Voici le Miroir Enchanté, » présenta Iana. « Pour le traverser et accéder au domaine du Maître des Miroirs, tu dois réussir son épreuve. »
Philippine s’approcha lentement du miroir, fascinée et intimidée. À mesure qu’elle avançait, la surface argentée s’agitait davantage, comme excitée par sa présence.
« Que dois-je faire exactement? » demanda-t-elle.
« Le miroir va te montrer des versions de toi-même, » expliqua Iana. « Certaines représentent des aspects réels de ta personnalité, d’autres sont des illusions, des façons dont tu pourrais te percevoir erronément ou dont les autres pourraient te voir injustement. Tu dois reconnaître lesquelles sont authentiques et lesquelles sont fausses. »
« Comment saurai-je faire la différence? »
« Écoute ton cœur, » conseilla simplement Iana. « Et rappelle-toi : ce n’est pas parce qu’un aspect de toi te déplaît qu’il n’est pas réel. L’acceptation de soi complète est la clé. »
Philippine prit une profonde inspiration et fit un pas de plus vers le miroir. Sa surface s’anima soudain, tourbillonnant comme un maelström argenté avant de se stabiliser en une image.
Une première Philippine apparut dans le miroir : confiante, fière, montant Céleste avec une grâce parfaite, applaudie par une foule admirative.
« Est-ce un vrai aspect de moi? » se demanda Philippine à voix haute.
« Tu dois répondre toi-même, » rappela Iana. « Regarde au-delà de la surface. »
Philippine observa attentivement son reflet triomphant. Elle reconnut sa passion pour l’équitation, sa fierté légitime dans ses accomplissements. Mais il y avait quelque chose de trop parfait, de trop lisse dans cette image.
« C’est partiellement vrai, » déclara-t-elle enfin. « J’aime les chevaux et je suis fière de mon talent. Mais je ne suis pas toujours si confiante, et je ne cherche pas uniquement l’admiration des autres. »
Le miroir ondula à nouveau, semblant accepter sa réponse. L’image changea pour montrer une Philippine différente : agacée, repoussant sa sœur avec impatience, roulant des yeux face à ses tentatives d’imitation.
Cette image était plus difficile à regarder. Philippine sentit ses joues rougir de honte.
« Est-ce vraiment moi? » murmura-t-elle, troublée.
Elle réfléchit honnêtement, se rappelant les moments où elle avait effectivement ressenti de l’irritation envers Léa. Elle n’était pas toujours patiente ou compréhensive.
« C’est… aussi une partie de moi, » admit-elle avec difficulté. « Parfois, je m’impatiente contre Léa. Je me sens envahie quand elle me copie constamment. Ce n’est pas ma meilleure facette, mais elle existe. »
Le miroir tourbillonna à nouveau, approuvant visiblement sa réponse honnête.
Une troisième image apparut : Philippine complètement seule, rejetée par tous, incapable de communiquer avec les chevaux ou qui que ce soit d’autre.
Cette fois, Philippine n’hésita pas longtemps.
« Non, ce n’est pas moi, » affirma-t-elle avec conviction. « J’ai peur de la solitude parfois, mais je sais créer des liens. Avec les animaux, avec ma famille, avec mes amis. Cette peur existe, mais cette image est une exagération qui ne reflète pas la vérité. »
Le miroir vibra, créant un son cristallin comme une approbation.
Les images continuèrent à défiler, montrant différentes facettes de Philippine : sa créativité, sa sensibilité, son courage, mais aussi son obstination, ses doutes, ses moments de jalousie envers l’attention que recevait parfois sa petite sœur.
À chaque fois, Philippine prenait le temps de réfléchir avant de répondre, reconnaissant honnêtement les aspects qui faisaient partie d’elle et rejetant ceux qui étaient des distorsions ou des peurs irrationnelles.
Finalement, après ce qui sembla être des heures, le miroir présenta une dernière image : Philippine et Léa ensemble, différentes mais complémentaires, chacune brillant de sa propre lumière unique tout en partageant un lien profond.
« Est-ce réel? » demanda le miroir d’une voix résonnante, parlant pour la première fois.
Philippine observa longuement cette image. Elle y vit une vérité qui existait autrefois et qui pourrait exister à nouveau – Léa et elle, unies mais distinctes, s’appréciant mutuellement dans leurs différences.
« C’est… ce que nous pourrions être, » répondit-elle doucement. « Ce que nous étions avant, et ce que j’espère que nous serons à nouveau. Ce n’est pas complètement réel maintenant, mais ça porte une vérité profonde sur notre lien. »
Le miroir émit un son mélodieux, et sa surface devint soudain aussi transparente que du verre.
« Tu as réussi l’épreuve, Philippine, » annonça-t-il. « Tu as fait preuve d’honnêteté envers toi-même, reconnaissant tes forces et tes faiblesses. Tu as également reconnu la différence entre ce qui est, ce qui pourrait être, et ce qui devrait être. Le chemin vers le Maître des Miroirs t’est ouvert. »
À travers la surface désormais transparente du miroir, Philippine pouvait voir un sentier lumineux qui serpentait au cœur d’une forêt encore plus étrange et merveilleuse que celle qu’ils avaient traversée jusqu’à présent.
« Tu dois y aller seule, » dit Iana. « Céleste et moi t’attendrons ici. »
« Mais j’aurai besoin de toi! » protesta Philippine.
« Le Maître des Miroirs ne parle qu’aux humains, » expliqua Iana. « Ne t’inquiète pas, tu as prouvé que tu étais prête. Et ce que tu as appris pendant cette épreuve te servira face au Reflet Voleur. »
Philippine caressa affectueusement la tête de son chat puis la crinière de Céleste.
« Je reviendrai vite, » promit-elle.
Rassemblant son courage, elle s’avança vers le miroir. Alors qu’elle le touchait, sa surface ondula comme de l’eau et Philippine sentit une sensation étrange, comme si elle passait à travers un rideau de pluie tiède.
L’instant d’après, elle se retrouva de l’autre côté, sur le sentier lumineux. Derrière elle, le miroir montrait maintenant Iana et Céleste qui l’observaient, mais lorsqu’elle tendit la main pour les toucher, elle ne rencontra que la surface solide et froide du verre.
« En avant, » se dit-elle à elle-même, déterminée.
Le sentier luisait d’une douce lumière bleutée qui semblait émaner des plantes elles-mêmes. Tout autour, des arbres aux troncs transparents comme du cristal s’élevaient vers un ciel où brillaient des étoiles inconnues, malgré l’heure qui devait être celle du crépuscule dans le monde normal.
Après une marche qui sembla à la fois très courte et très longue – le temps semblait s’écouler différemment dans cet endroit étrange – Philippine arriva devant une clairière où se dressait une construction fascinante : un atelier fait entièrement de miroirs assemblés en une architecture impossible, certains segments semblant flotter dans les airs.
Au centre de cet atelier se tenait une haute silhouette encapuchonnée. Lorsqu’elle se tourna vers Philippine, celle-ci vit que son visage était un miroir parfait qui reflétait non pas ses traits physiques, mais les émotions qu’elle ressentait à cet instant : l’émerveillement, l’appréhension, la détermination.
« Bienvenue, Philippine, » dit le Maître des Miroirs d’une voix qui résonnait comme mille chuchotements. « Je t’attendais. »
« Vous me connaissez? » s’étonna Philippine.
« Je connais tous ceux qui se cherchent, » répondit énigmatiquement le Maître. « Et aujourd’hui, tu cherches à la fois toi-même et ta sœur. »
« Le Reflet Voleur a pris possession de Léa, » expliqua Philippine. « Je dois la sauver. »
« Le Reflet Voleur… » soupira le Maître, son visage-miroir s’assombrissant. « Il était autrefois mon plus brillant apprenti, un Gardien des Reflets comme ton amie Iana. Mais il a été corrompu par sa fascination pour les désirs cachés des êtres qu’il observait. »
« Comment puis-je le vaincre? » demanda Philippine.
Le Maître s’approcha d’un établi où reposaient des fragments de miroir en cours de façonnage.
« Tu ne peux pas le vaincre par la force, » expliqua-t-il en manipulant délicatement un éclat de verre. « Il se nourrit de ton opposition, de ton désir de l’affronter directement. »
« Alors comment sauver ma sœur? »
« Tu dois comprendre que le Reflet Voleur n’a pas créé le désir de ta sœur d’être comme toi. Il l’a simplement exploité et amplifié. Ce désir vient d’elle, de son admiration pour toi, mais aussi de son insécurité. »
Philippine baissa la tête, sentant la vérité de ces paroles.
« Pour libérer Léa, tu dois l’aider à voir sa propre valeur, » poursuivit le Maître. « Et pour cela, tu dois d’abord reconnaître pleinement cette valeur toi-même. »
« Je sais que Léa a des qualités, » protesta Philippine. « Elle dessine magnifiquement bien, elle est patiente avec les petits animaux, elle… »
« Mais l’as-tu vraiment valorisée pour ces qualités? » interrompit doucement le Maître. « Ou as-tu été plus sensible à l’agacement que tu ressentais face à son comportement? »
Philippine réfléchit honnêtement et dut admettre que ces derniers temps, elle avait surtout manifesté son irritation face aux tentatives de Léa de la copier.
« Je… je suppose que je pourrais faire mieux, » reconnut-elle.
« Exactement, » approuva le Maître en assemblant plusieurs fragments de miroir qui formèrent une petite étoile parfaite. « Regarde ce que je crée ici. Chaque fragment est différent, unique. Ensemble, ils forment quelque chose de nouveau, plus grand que la somme de leurs parties. »
Il tendit l’étoile de miroir à Philippine.
« Voici ton arme contre le Reflet Voleur. Non pas une épée ou un sort, mais un miroir de vérité. Il reflétera l’essence véritable de ta sœur, pas celle que le Reflet Voleur tente de façonner à ton image. »
Philippine prit délicatement l’étoile. Elle était légère mais semblait contenir une puissance considérable. Quand elle la tenait, elle pouvait presque sentir la présence de Léa, la vraie Léa, quelque part au-delà de l’influence du Reflet Voleur.
« Comment dois-je l’utiliser? »
« Trouve ce qui rend ta sœur vraiment unique, ce qu’elle seule peut faire ou être, » expliqua le Maître. « Puis utilise ce miroir pour lui montrer cette vérité. Le Reflet Voleur ne peut maintenir son emprise face à l’authenticité pure. »
« Mais le Reflet Voleur est si puissant maintenant, » s’inquiéta Philippine. « Il a absorbé une partie de mon essence, de mes talents. »
« C’est pourquoi tu dois agir rapidement, » confirma le Maître. « Chaque heure qui passe renforce son emprise. Mais rappelle-toi ceci : ce qu’il vole, il ne le comprend pas vraiment. Il imite sans saisir l’essence. C’est sa faiblesse. »
« Je comprends, » dit Philippine en serrant l’étoile de miroir contre son cœur. « Je dois retourner auprès de Léa immédiatement. »
« Pas encore, » tempéra le Maître. « Il te manque encore quelque chose. »
Il s’approcha d’une armoire faite de miroirs anciens et en sortit un petit flacon contenant un liquide argenté qui semblait vivant, tourbillonnant constamment.
« Ceci est de l’Essence de Création, » expliqua-t-il. « C’est la matière première avec laquelle je forge les miroirs magiques. Versée dans un cours d’eau, elle créera temporairement un pont entre les mondes des reflets et le monde réel, te permettant de voyager instantanément vers l’endroit où se trouve ta sœur. »
Philippine prit le flacon, reconnaissante.
« Comment pourrai-je vous remercier? »
Le visage-miroir du Maître refléta un sourire bienveillant.
« En aidant ta sœur à trouver sa propre voie. En valorisant vos différences autant que vos ressemblances. Et peut-être, un jour, en racontant des histoires qui aideront d’autres enfants à comprendre la valeur de leur unicité. »
Ces mots résonnèrent profondément en Philippine. Elle se souvint de son talent pour raconter des histoires, cette part d’elle-même qu’elle avait redécouverte dans l’étang des reflets.
« Je le ferai, » promit-elle solennellement.
« Le chemin du retour s’ouvrira dès que tu sortiras de l’atelier, » indiqua le Maître. « Suis la lumière de l’étoile de miroir, elle te guidera. »
Philippine s’inclina respectueusement puis se dirigea vers la sortie. Alors qu’elle franchissait le seuil, elle se retourna une dernière fois.
« Maître des Miroirs, une dernière question : pourquoi m’aider? Pourquoi ne pas intervenir vous-même contre le Reflet Voleur? »
Le Maître la regarda longuement, son visage-miroir reflétant à la fois de la tristesse et de l’espoir.
« Parce que seul l’amour d’une sœur peut guérir ce que la jalousie d’une sœur a brisé, » répondit-il simplement. « Certaines magies sont plus puissantes que toutes celles que je pourrais employer. »
Sur ces mots énigmatiques, la porte de l’atelier se referma, et Philippine se retrouva sur un nouveau sentier lumineux qui serpentait à travers la forêt cristalline. L’étoile de miroir dans sa main brillait doucement, indiquant le chemin à suivre.
Avec une détermination renouvelée, Philippine s’élança sur le sentier, sachant que chaque pas la rapprochait de Léa et de la confrontation finale avec le Reflet Voleur.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 34