Le sentier lumineux ramena Philippine au Miroir Enchanté plus rapidement qu’elle ne l’aurait cru possible. Lorsqu’elle émergea de sa surface miroitante, Iana et Céleste l’attendaient patiemment dans la clairière baignée par la lumière de la lune montante.
« Tu as vu le Maître des Miroirs, » constata Iana en observant l’étoile de miroir et le flacon d’Essence de Création que Philippine tenait précieusement.
« Oui, et il m’a donné ces objets pour m’aider à sauver Léa, » confirma Philippine en caressant affectueusement le chat. « Mais nous devons nous dépêcher. Le Reflet Voleur devient plus puissant à chaque instant. »
« La pleine lune sera à son apogée dans quelques heures, » indiqua Iana en regardant le ciel. « C’est à ce moment que le Reflet Voleur atteindra sa puissance maximale et pourrait fusionner complètement avec Léa. »
Un frisson d’urgence parcourut Philippine. Elle monta rapidement sur Céleste.
« Où devons-nous aller? Sais-tu où se trouve Léa maintenant? »
« Je peux le sentir, » répondit Iana. « Le Reflet Voleur l’a emmenée au Lac des Mille Visages, au centre du royaume. C’est un lieu de pouvoir où les reflets sont particulièrement puissants. Il compte s’y servir de la lumière de la pleine lune reflétée dans l’eau pour compléter son absorption de l’identité de Léa. »
« Alors c’est là que nous devons aller, » décida Philippine. « Mais c’est loin d’ici, non? »
« Trop loin pour y arriver à temps par des moyens conventionnels, » confirma Iana. « C’est là que l’Essence de Création va nous être utile. Suis-moi jusqu’à la Rivière des Souvenirs, elle nous y mènera rapidement. »
Iana s’élança à travers la forêt, Philippine et Céleste sur ses talons. Ils traversèrent des parties de la Forêt Miroitante que Philippine n’avait jamais vues, où les arbres semblaient faits d’argent liquide et où des créatures lumineuses voletaient entre les branches comme des étoiles tombées du ciel.
Après une course effrénée, ils arrivèrent au bord d’une rivière dont l’eau était si claire qu’elle semblait presque invisible, révélant un lit de pierres polies qui brillaient comme des joyaux.
« Voici la Rivière des Souvenirs, » annonça Iana. « Ses eaux coulent à travers tout le royaume, reliant tous les lieux où les reflets ont du pouvoir. Verse l’Essence de Création à l’endroit où je te l’indiquerai. »
Le chat s’avança le long de la berge, scrutant attentivement l’eau, jusqu’à s’arrêter à un endroit où la rivière formait un petit bassin naturel.
« Ici, » indiqua-t-il. « C’est un point de convergence des courants. »
Philippine déboucha le flacon et versa délicatement le liquide argenté dans l’eau. L’effet fut immédiat et spectaculaire. L’Essence se répandit en spirales scintillantes, transformant la surface de l’eau en un miroir parfait qui ne reflétait pas le ciel nocturne mais montrait une image du Lac des Mille Visages, où une foule semblait s’être rassemblée.
« Regarde! » s’exclama Philippine en pointant l’image. « Ce sont les habitants du royaume! Que font-ils là-bas? »
En effet, l’image reflétée montrait des centaines de personnes réunies autour d’un grand lac circulaire. Au centre, sur une plateforme flottante, se tenait une silhouette que Philippine reconnut immédiatement malgré les changements : Léa, mais une version altérée de sa sœur.
Elle portait maintenant une tenue qui ressemblait étrangement à celle de Philippine, mais en plus sombre et ornée de fragments de miroir. Ses cheveux, habituellement bruns, avaient pris une teinte rousse similaire à ceux de Philippine. Derrière elle se dressait l’ombre du Reflet Voleur, plus grande et plus définie qu’auparavant, son visage-miroir brisé reflétant des versions déformées de tous ceux qui l’entouraient.
« Qu’est-ce qu’il fait? » demanda Philippine, horrifiée.
« Il organise une cérémonie, » expliqua gravement Iana. « Il veut que tous les habitants du royaume soient témoins de sa victoire lorsqu’il absorbera complètement l’identité de Léa et une partie de la tienne. Et regarde plus attentivement la foule. »
Philippine plissa les yeux et remarqua avec effroi que plusieurs personnes dans la foule semblaient… fades, comme si leurs couleurs et leurs traits distinctifs s’estompaient. Certains enfants, en particulier, semblaient être de pâles copies les uns des autres.
« Il ne s’arrête pas à Léa, » comprit Philippine. « Il affecte d’autres enfants aussi! »
« Le Reflet Voleur se nourrit de l’insécurité, du désir d’être quelqu’un d’autre, » confirma Iana. « Plus il devient puissant, plus son influence s’étend. S’il réussit avec Léa, beaucoup d’autres enfants perdront aussi leur identité unique. »
« Nous devons l’arrêter, » affirma Philippine avec détermination. « Comment traversons-nous vers ce lieu? »
« Le pont est créé, » répondit Iana en indiquant l’eau désormais argentée. « Nous n’avons qu’à traverser le reflet. Mais attention : une fois là-bas, tu n’auras que jusqu’à minuit, quand la lune sera exactement au zénith, pour confronter le Reflet Voleur. Après cela, sa transformation sera complète. »
Philippine prit une profonde inspiration, serrant l’étoile de miroir dans sa main. Elle sentit sa chaleur réconfortante et se rappela les paroles du Maître des Miroirs.
« Je suis prête, » déclara-t-elle. « Mais avant de partir, j’ai besoin de préparer quelque chose. »
Elle descendit de Céleste et s’assit au bord de la rivière. De son sac, elle sortit un petit carnet et un crayon qu’elle emportait toujours avec elle pour dessiner les chevaux qu’elle rencontrait.
« Que fais-tu? » demanda Iana, intrigué.
« Je me rappelle qui est vraiment Léa, » répondit Philippine en commençant à esquisser. « Et je crée une histoire qui pourra l’aider à s’en souvenir aussi. »
Avec concentration et amour, Philippine dessina et écrivit pendant un quart d’heure, créant une petite histoire illustrée. Elle y dépeignait deux sœurs, différentes mais unies, chacune avec ses talents propres qui, ensemble, créaient quelque chose de merveilleux.
Dans son histoire, la sœur cadette n’était pas une copie de l’aînée mais son complément, apportant des qualités que l’aînée n’avait pas. Elle mit en valeur le talent de dessinatrice de Léa, sa patience, sa gentillesse avec les plus petits, et tous ces traits que, réalisa Philippine, elle n’avait pas assez valorisés.
Quand elle eut terminé, elle montra son travail à Iana.
« C’est parfait, » approuva le chat avec un ronronnement appréciateur. « Tu as compris l’essence de ce que t’a enseigné le Maître des Miroirs. Cette histoire est un miroir plus puissant que n’importe quel enchantement, car elle reflète la vérité avec amour. »
Philippine rangea soigneusement le carnet dans sa tunique, près de son cœur, puis remonta sur Céleste.
« Maintenant, nous pouvons y aller. »
Iana hocha la tête et s’avança vers l’eau miroitante. Sans hésitation, il posa une patte sur la surface – qui, au lieu de s’enfoncer, resta ferme comme si le chat marchait sur du verre solide.
« Suis-moi, » dit-il en s’engageant pleinement sur ce pont invisible.
Philippine guida Céleste vers l’eau. La jument hésita un instant, puis, sentant la détermination de sa maîtresse, posa un sabot sur la surface argentée. Comme pour Iana, l’eau soutint son poids.
Pas à pas, ils traversèrent le miroir liquide. Autour d’eux, des images fluctuantes apparaissaient dans l’eau : des souvenirs de Philippine et Léa enfants, jouant ensemble, se disputant parfois, mais toujours unies par un lien profond.
« Ce sont nos souvenirs, » murmura Philippine, émue.
« La Rivière des Souvenirs porte bien son nom, » confirma Iana. « Elle te montre ce qui est important pour toi en ce moment. »
Alors qu’ils approchaient du centre du pont magique, une sensation étrange envahit Philippine – comme si elle traversait un voile invisible. L’air vibra autour d’eux, et soudain, le paysage changea.
Ils se tenaient maintenant au bord du Lac des Mille Visages, légèrement en retrait de la foule rassemblée. L’eau du lac était parfaitement immobile, reflétant la pleine lune qui montait lentement dans le ciel nocturne. Au centre, la plateforme flottante où se tenait Léa brillait d’une lueur surnaturelle.
« Nous sommes arrivés juste à temps, » chuchota Iana. « La cérémonie va bientôt commencer. »
Philippine observa la scène, cherchant un moyen d’approcher sa sœur. La foule était dense, et de nombreux gardes aux visages curieusement similaires entouraient la plateforme.
« Ces gardes, » remarqua-t-elle, « ils se ressemblent tous. »
« Ce sont les premières victimes du Reflet Voleur, » expliqua Iana. « Des enfants et adolescents qui ont perdu leur identité unique et sont devenus ses serviteurs. »
Cette révélation renforça la détermination de Philippine. Elle ne laisserait pas sa sœur subir le même sort.
« Comment approchons-nous? » demanda-t-elle.
« Regarde, » dit Iana en indiquant l’eau du lac. « Le lac est connecté à la terre par sept pontons. Six sont gardés, mais le septième, là-bas, semble moins surveillé. »
En effet, un petit ponton de bois s’avançait dans le lac du côté opposé à la foule principale, à moitié caché par des saules pleureurs dont les branches touchaient la surface de l’eau.
« C’est par là que nous irons, » décida Philippine. « Mais nous devons être discrets. »
Ils contournèrent prudemment le lac, se faufilant entre les arbres pour rester hors de vue. Alors qu’ils approchaient du ponton isolé, un bruit soudain attira leur attention : une musique étrange, à la fois belle et légèrement discordante, s’éleva au-dessus du lac.
Sur la plateforme centrale, Léa s’était mise à danser, exécutant une version déformée de la chorégraphie que Philippine avait créée pour le Festival des Talents. Mais au lieu de la grâce naturelle de Philippine, ses mouvements étaient mécaniques, comme si elle était une marionnette manipulée par des fils invisibles.
« La cérémonie commence, » murmura Iana avec urgence. « Nous devons nous dépêcher. »
Ils atteignirent enfin le ponton isolé. Philippine descendit silencieusement de Céleste et lui caressa le museau.
« Attends-moi ici, ma belle, » chuchota-t-elle. « Je reviendrai avec Léa. »
Accompagnée d’Iana, elle s’engagea sur le ponton de bois qui craquait légèrement sous ses pas. L’eau du lac était si claire qu’elle pouvait voir son reflet parfaitement – mais ce qui l’inquiéta, c’est que ce reflet semblait parfois bouger indépendamment d’elle, comme s’il avait sa propre volonté.
« Ne regarde pas trop longtemps l’eau, » avertit Iana. « Le Lac des Mille Visages peut capturer ton reflet si tu t’y attardes. »
Philippine hocha la tête et continua d’avancer, gardant les yeux fixés sur la plateforme centrale où sa sœur continuait sa danse étrange. À mesure qu’ils approchaient, elle pouvait mieux distinguer la figure du Reflet Voleur derrière Léa – une silhouette encapuchonnée faite d’ombre et de fragments de miroir, dont les contours semblaient constamment fluctuer.
Soudain, alors qu’ils étaient presque à mi-chemin du ponton, un garde émergea de l’eau directement devant eux, bloquant leur progression. Son visage était lisse, sans traits distinctifs, comme une poupée inachevée.
« Intruse, » dit-il d’une voix sans inflexion. « Tu n’es pas invitée à la Cérémonie d’Unification. »
Philippine recula d’un pas, surprise par cette apparition, mais Iana s’avança, son pelage brillant d’une lueur argentée.
« Regarde bien, serviteur du Reflet, » dit le chat d’une voix autoritaire. « Cette jeune fille est Philippine, sœur de Léa. Elle a tout droit d’être présente pour l’unification. »
Le garde pencha la tête, confus. « Philippine… sœur… » murmura-t-il, comme s’il essayait de se rappeler quelque chose.
Philippine comprit soudain l’approche d’Iana et sortit son carnet.
« Regarde, » dit-elle doucement en montrant au garde une des illustrations qu’elle avait faites, représentant deux sœurs main dans la main. « Te souviens-tu d’avoir une sœur? Un frère? Quelqu’un qui t’aimait pour qui tu étais vraiment? »
Le garde fixa l’image, et pendant un instant, ses traits indistincts semblèrent fluctuer, comme si une personnalité luttait pour émerger.
« Je… je me souviens, » murmura-t-il. Puis il s’écarta. « Passez. Mais faites vite. Le Maître sentira bientôt votre présence. »
Reconnaissante, Philippine hocha la tête et passa rapidement, suivie d’Iana.
« Comment as-tu su que ça marcherait? » chuchota-t-elle.
« J’ai vu la puissance de ton dessin, » répondit simplement le chat. « Les victimes du Reflet Voleur ne sont pas complètement perdues. Une partie de leur vrai moi subsiste, attendant d’être réveillée. »
Ils continuèrent jusqu’au bout du ponton, se retrouvant à seulement quelques mètres de la plateforme centrale. De là, Philippine pouvait clairement voir le visage de sa sœur – un visage qui ressemblait de plus en plus au sien, les traits de Léa s’effaçant progressivement pour être remplacés par ceux de Philippine.
« C’est horrible, » murmura-t-elle, le cœur serré. « Elle perd son identité propre. »
« Pas encore complètement, » rassura Iana. « Regarde attentivement. Il y a encore des moments où le vrai visage de Léa transparaît, surtout quand la musique faiblit. »
En effet, entre deux mouvements de danse, lorsque la musique marquait une pause, l’expression de Léa changeait brièvement, révélant confusion et peur – les émotions authentiques de la petite fille piégée.
« Comment l’atteindre? » demanda Philippine, désespérée. « Elle est au milieu du lac, et le Reflet Voleur ne nous laissera jamais approcher. »
Iana observa attentivement la scène, puis indiqua l’eau du lac.
« Le Lac des Mille Visages est un conducteur de reflets, » expliqua-t-il. « Si tu utilises l’étoile de miroir sur sa surface tout en te concentrant sur la vraie Léa, tu pourras peut-être créer un pont de lumière jusqu’à elle. »
Philippine sortit l’étoile de miroir et la tint au-dessus de l’eau. Elle ferma les yeux, se concentrant intensément sur sa petite sœur – non pas sur la Léa qui copiait tout ce qu’elle faisait, mais sur la vraie Léa, avec ses talents de dessinatrice, sa gentillesse, son rire unique et tous ces petits détails qui faisaient d’elle une personne irremplaçable.
L’étoile commença à briller d’une lumière dorée, et lorsque Philippine rouvrit les yeux, elle vit cette lumière se refléter dans l’eau, créant un rayon qui s’étendait jusqu’à la plateforme centrale.
Le rayon toucha Léa, qui s’immobilisa au milieu de sa danse. Pendant un instant, son visage redevint entièrement le sien, ses yeux s’éclaircirent, et elle regarda directement vers Philippine avec une expression de reconnaissance.
« Philippine? » appela-t-elle faiblement, sa voix celle d’une petite fille effrayée plutôt que le ton métallique du Reflet Voleur.
« Léa! » répondit Philippine, soulagée que sa sœur puisse encore la reconnaître.
Mais le moment fut bref. Le Reflet Voleur, sentant son contrôle menacé, enveloppa Léa de son ombre, brisant le rayon de lumière. La petite fille reprit sa danse mécanique, le visage à nouveau figé dans une imitation de celui de Philippine.
« Il est plus fort que je ne le pensais, » constata Iana, préoccupé. « Mais tu as réussi à l’atteindre, même brièvement. C’est encourageant. »
« Et maintenant? » demanda Philippine, déterminée à ne pas abandonner.
« Maintenant, » dit solennellement Iana, « nous devons nous préparer à la confrontation finale. La lune sera bientôt au zénith, et le Reflet Voleur tentera de fusionner complètement avec Léa. C’est à ce moment que tu devras agir. »
Philippine hocha la tête, serrant son carnet d’une main et l’étoile de miroir de l’autre. Elle observa la lune qui montait inexorablement dans le ciel nocturne, sachant que le moment décisif approchait.
Le Reflet Voleur, comme s’il sentait sa présence, tourna lentement son visage-miroir brisé dans sa direction. Dans les fragments, Philippine vit non pas son reflet actuel, mais des versions déformées d’elle-même – certaines arrogantes, d’autres craintives, toutes exagérant ses traits les moins flatteurs.
« Il essaie de te déstabiliser, » prévint Iana. « Ne regarde pas directement les reflets qu’il te montre. »
Philippine détourna le regard, se concentrant plutôt sur Léa. Derrière l’apparence de plus en plus semblable à la sienne, elle cherchait des traces de la vraie personnalité de sa sœur, ces petits détails qu’aucune imitation ne pourrait jamais capturer parfaitement.
Et tandis que la lune continuait son ascension, Philippine élaborait mentalement son plan pour la confrontation finale, sachant que tout dépendrait de sa capacité à raviver la véritable essence de Léa.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 34