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Pendant les deux semaines suivantes, Léane connut des hauts et des bas. Son amitié naissante avec Maya se développait lentement. Elle mangeait maintenant à la table de Maya et de ses amies, qui l’acceptaient avec une curiosité prudente. Leur maquette de récif corallien prenait forme, devenant l’un des projets les plus élaborés de la classe.
À la maison, les choses s’amélioraient aussi. Le Capitaine Voyageur était revenu pour quelques jours, remplissant la maison-sous-marine de récits d’aventures lointaines et de petits trésors ramenés des profondeurs inexplorées. Le Petit Poisson grandissait et avait moins de crises de pleurs, et la Gardienne du Phare semblait un peu moins fatiguée.
L’Ombre de la Solitude était toujours présente, mais grâce aux techniques enseignées par Finn et à ses nouvelles connexions, Léane parvenait à la maintenir à la périphérie de sa vie.
Un jour, Madame Corail annonça un événement spécial : la Grande Fête des Océans, une célébration annuelle où les habitants de Récif-Nouveau organisaient des spectacles, des jeux et des présentations sur la vie marine.
« Et cette année, » ajouta-t-elle avec enthousiasme, « nous aurons un concours spécial pour les jeunes explorateurs. Vous pouvez présenter un exposé sur votre animal marin préféré ! »
Le cœur de Léane bondit dans sa poitrine. Les dauphins ! Elle connaissait tellement de choses fascinantes sur eux que les autres enfants ignoraient probablement.
« Tu devrais participer, » l’encouragea Maya après la classe. « Tu es incollable sur les dauphins. »
« Je ne sais pas, » hésita Léane, sentant l’Ombre s’agiter. « Parler devant tout le monde… »
« Utilise ton truc de respiration, » suggéra Maya, qui avait remarqué comment Léane prenait de profondes inspirations quand elle était nerveuse. « Et tu peux t’entraîner avec moi d’abord. »
Après avoir consulté Finn, qui l’encouragea vivement, Léane décida de s’inscrire. Pendant les jours qui suivirent, elle travailla avec acharnement sur sa présentation, rassemblant des faits fascinants, dessinant des illustrations détaillées, et même en créant un petit modèle de dauphin en argile que la Gardienne du Phare l’aida à peindre.
La veille de la Grande Fête des Océans, Léane répétait sa présentation dans sa chambre-coquillage. Le Capitaine Voyageur était reparti pour une nouvelle mission, et la Gardienne du Phare s’occupait du Petit Poisson qui faisait ses dents.
« …et ainsi, les dauphins utilisent l’écholocation pour— » récitait Léane quand une vague de froid l’interrompit.
L’Ombre de la Solitude, qui s’était faite discrète ces derniers temps, s’épaissit soudain devant elle, plus dense et plus menaçante que jamais.
« Tu penses vraiment pouvoir parler devant tout Récif-Nouveau ? » ricana l’Ombre. « Toi, la petite fille timide qui bégaie dès que trois personnes la regardent ? »
« Je me suis améliorée, » protesta Léane, mais sa voix tremblait. « J’ai des amis maintenant, et je connais bien mon sujet. »
L’Ombre tourna autour d’elle, effleurant ses épaules d’une caresse glacée. « Mais tu sais ce qui va se passer, n’est-ce pas ? Tu vas te tenir devant tous ces inconnus, tu vas oublier tes mots, ta voix va se briser, et ils vont tous rire. Même Maya et ses amies. »
Léane serra sa Pierre de Mémoire et tenta de prendre un Souffle de Dauphin, mais l’Ombre semblait plus forte cette nuit, comme si elle avait rassemblé toute sa puissance pour cette attaque.
« Et puis, à quoi bon faire tous ces efforts ? » poursuivit l’Ombre. « Dans quelques mois, ton père sera à nouveau transféré, et vous partirez. Tu devras tout recommencer ailleurs, encore et encore. Toujours l’étrangère, jamais chez toi. »
Les paroles de l’Ombre frappèrent Léane en plein cœur, réveillant une douleur qu’elle connaissait bien. C’était vrai – chaque fois qu’elle commençait à se sentir à l’aise quelque part, à se faire des amis, ils devaient repartir.
Elle s’assit sur son lit, les larmes aux yeux, sentant l’Ombre l’envelopper comme une couverture froide et lourde.
« Peut-être que tu devrais simplement annuler ta participation, » suggéra l’Ombre d’une voix doucereuse. « Ce serait plus facile. Plus sûr. »
Pendant un long moment, Léane envisagea cette option. Puis elle se souvint des paroles de Finn : « Bientôt, tu découvriras que l’Ombre a aussi quelque chose à t’apprendre. »
Qu’essayait de lui dire l’Ombre, au fond ? Que craignait-elle vraiment ? Était-ce seulement l’humiliation publique, ou quelque chose de plus profond ?
Elle ferma les yeux et prit plusieurs Souffles de Dauphin, essayant de voir au-delà de la peur immédiate. Et soudain, elle comprit : ce n’était pas tant la peur de parler en public qui la paralysait, mais la peur de créer des liens voués à être brisés.
L’Ombre avait raison sur un point – ils finiraient probablement par déménager à nouveau. Mais était-ce une raison pour ne pas vivre pleinement le présent ?
« Non, » dit-elle à haute voix, surprenant l’Ombre. « Je vais faire cette présentation. Et même si nous devons partir un jour, je veux laisser une trace ici. Je veux que les gens se souviennent de Léane, la fille qui connaissait tout sur les dauphins. »
L’Ombre vacilla légèrement, mais ne recula pas. « Tu seras déçue, » avertit-elle. « La déception fait toujours plus mal que la résignation. »
Léane se leva et ramassa ses notes et ses illustrations. « Peut-être. Mais au moins, j’aurai essayé. »
Cette nuit-là, elle dormit d’un sommeil agité, l’Ombre rodant dans ses rêves. Mais au matin, quelque chose d’étrange s’était produit – l’Ombre semblait différente, moins hostile, presque… attentive, comme si elle observait Léane avec une nouvelle curiosité.
Le grand jour arriva enfin. La Grande Fête des Océans transformait tout Récif-Nouveau en un spectacle de couleurs et de sons. Des banderoles d’algues décoraient les bâtiments, des musiciens jouaient sur des instruments faits de coquillages et de coraux, et l’odeur délicieuse des algues grillées et des fruits de mer flottait dans l’eau.
Léane, vêtue de son plus beau débardeur bleu turquoise, attendait son tour pour présenter, son cœur battant la chamade. L’Ombre était là aussi, mais elle se tenait à distance, comme si elle attendait de voir ce qui allait se passer.
Maya vint lui donner une petite tape d’encouragement. « Tu vas être géniale, » dit-elle. « Rappelle-toi juste de respirer. »
Madame Corail appela Léane sur la petite scène en forme de conque. Les jambes tremblantes, Léane s’avança, tenant ses illustrations et son modèle de dauphin. Face à elle se trouvait une mer de visages – des enfants de son école, des parents, des habitants de Récif-Nouveau qu’elle n’avait jamais vus.
Elle aperçut la Gardienne du Phare au premier rang, tenant le Petit Poisson qui agitait joyeusement ses mains potelées. Et un peu plus loin, nageant discrètement près d’un pilier de corail, se trouvait Finn, son mentor.
Léane prit un Souffle de Dauphin, puis un autre. Elle toucha sa Pierre de Mémoire pour se rappeler sa force. Puis elle commença à parler, sa voix d’abord douce, puis de plus en plus assurée.
« Les dauphins sont parmi les créatures les plus intelligentes et les plus sociales des océans, » dit-elle, et le monde autour d’elle sembla se dissoudre alors qu’elle se plongeait dans son sujet favori.
Elle parla de l’écholocation, de la structure sociale des pods de dauphins, de leur incroyable capacité à communiquer. Elle montra ses illustrations détaillées et son modèle, expliquant les adaptations spéciales qui permettaient aux dauphins de nager si rapidement et si gracieusement.
Mais alors qu’elle atteignait le point culminant de sa présentation, quelque chose d’inattendu se produisit. L’Ombre de la Solitude, qui s’était tenue en retrait, glissa soudain vers elle et, à la stupéfaction de Léane, s’enroula autour de ses mots comme pour les étouffer.
Sa voix se brisa. Son esprit devint vide. Elle ne se souvenait plus de ce qu’elle devait dire ensuite.
Un silence pesant s’installa. Léane sentit la panique monter. Elle regarda désespérément la foule, cherchant un visage amical. La Gardienne du Phare lui sourit avec encouragement. Maya lui fit un petit signe de tête.
Et puis, comme un murmure distant, elle entendit Finn : « Utilise la Chanson de l’Écho, Léane. Laisse ta passion résonner. »
Léane ferma les yeux un instant. Elle imagina qu’elle était dans la caverne de Finn, entourée des cristaux bioluminescents. Elle prit un dernier Souffle de Dauphin et, plutôt que de s’accrocher à ses notes mémorisées, elle laissa parler son cœur.
« Les dauphins m’ont appris quelque chose d’important, » dit-elle, sa voix devenant plus forte. « Ils vivent dans un monde en mouvement constant, portés par les courants et les saisons. Mais ils ne sont jamais vraiment seuls, car ils portent leur famille – leur pod – dans leur cœur, même quand ils sont séparés. »
Elle regarda directement l’Ombre qui l’entourait. « Comme moi, qui dois souvent déménager à cause du travail de mon père. Chaque fois, c’est difficile de dire au revoir et de recommencer ailleurs. Mais chaque lieu m’apprend quelque chose de nouveau, me présente à de nouvelles personnes, à de nouveaux animaux marins à découvrir. »
L’Ombre vacilla, comme surprise par cette tournure.
« Et les dauphins ont un autre secret, » poursuivit Léane, sa confiance grandissant à chaque mot. « Ils savent que la communication est la clé pour trouver sa place. Ils chantent, ils sifflent, ils cliquent – tout pour rester connectés. C’est ce que j’essaie d’apprendre aussi – à faire entendre ma voix, même quand j’ai peur. »
À la surprise de Léane, l’audience semblait captivée. Des parents hochaient la tête avec compréhension, et plusieurs enfants – pas seulement ceux de son école – la regardaient avec un nouvel intérêt.
Elle termina sa présentation par une démonstration de sons de dauphins qu’elle avait appris à imiter, déclenchant des rires ravis et des applaudissements enthousiastes.
Quand elle quitta la scène, les jambes encore tremblantes mais le cœur léger, plusieurs enfants vinrent lui poser des questions sur les dauphins. Maya l’étreignit fièrement, et même les amies de Maya semblaient impressionnées.
La Gardienne du Phare l’embrassa sur le front et murmura : « Tu étais magnifique, ma petite étoile de mer. »
Mais le plus étonnant fut ce qui arriva à l’Ombre. Au lieu de disparaître complètement, elle avait changé de forme. Elle semblait moins menaçante, plus définie, presque… humaine.
« Qui es-tu vraiment ? » murmura Léane à l’Ombre tandis que la fête continuait autour d’elles.
L’Ombre ne répondit pas directement, mais pour la première fois, Léane crut voir un visage dans la brume – le visage d’un enfant pas beaucoup plus âgé qu’elle, avec des yeux emplis de solitude.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 40