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L’immensité de l’espace s’étendait devant eux, un océan d’encre parsemé d’îles de lumière. L’Aurora filait à travers ce vide majestueux, ses moteurs à impulsion émettant un doux ronronnement qui résonnait dans la coque du vaisseau. À l’intérieur du cockpit, Jules regardait les étoiles défiler, fasciné par leur beauté immuable.
Le Professeur Kepler était aux commandes principales, ses doigts ridés dansant sur les panneaux de contrôle avec l’aisance que confèrent des décennies d’expérience. Phi occupait le poste de navigateur, ses yeux fixés sur les écrans affichant des coordonnées stellaires complexes. Toma, quant à lui, veillait sur les systèmes énergétiques du vaisseau, ajustant constamment les niveaux pour optimiser leur vitesse.
« Le Fragment indique que nous approchons d’une zone d’instabilité spatiale, » annonça Kepler, désignant le cristal bleuté qui pulsait de plus en plus rapidement dans son support spécial, au centre du tableau de bord.
Le Fragment que Jules avait porté jusqu’alors avait été placé dans un dispositif spécial conçu par Kepler – une sorte de gyroscope quantum qui amplifiait ses résonances et les traduisait en coordonnées spatiales.
« Les senseurs détectent une distorsion gravitationnelle à trois parsecs, » confirma Phi. « C’est minuscule, mais elle grandit. »
Jules observait, fasciné, la transformation du comportement des orbes du Disperseur autour de lui. Elles ne tourbillonnaient plus de manière chaotique, mais s’organisaient en formations géométriques complexes, comme si elles anticipaient quelque chose.
« Le Disperseur sent que nous approchons du Nexus, » dit Kepler, remarquant la concentration de Jules. « Il reconnaît le chemin du retour. »
« Professeur, » commença Jules, formulant une question qui le taraudait depuis leur départ précipité. « Vous n’avez jamais complètement expliqué ce qui s’est passé lors de votre première expédition au Nexus. Pourquoi le Commandant Vega représente-t-elle un tel danger? »
Kepler soupira profondément, son oeil cybernétique s’assombrissant légèrement. Il programma le pilote automatique et se tourna vers ses trois jeunes compagnons.
« C’était il y a vingt ans, » commença-t-il. « Lyra Vega était une cadette brillante, peut-être la plus douée que l’Académie ait jamais connue. Elle, moi, et mon collègue Thaddeus Cygnus avons été sélectionnés pour explorer une anomalie spatiale détectée aux confins du système Cassiopée. Cette anomalie s’est avérée être le Nexus. »
Les lumières du cockpit vacillèrent brièvement, comme si le simple récit affectait les systèmes électriques du vaisseau.
« Ce que nous y avons découvert dépassait tout entendement. Le Nexus n’est pas simplement un lieu dans l’espace; c’est un point où la conscience et la réalité s’entremêlent. Une sorte d’esprit cosmique qui existe depuis la naissance de l’univers. »
« Comme une intelligence artificielle naturelle? » suggéra Toma.
« Plus ancienne et plus profonde qu’une IA, » corrigea Kepler. « Imagine une conscience qui s’est développée non pas à partir de circuits électroniques ou même de neurones biologiques, mais directement à partir des forces fondamentales de l’univers. »
« Et qu’est-il arrivé quand vous l’avez rencontré? » demanda Phi.
« Le Nexus… nous a touchés. Différemment chacun. Cygnus a été terrifié – il a vu le Nexus comme une menace pour l’humanité, une force trop puissante pour être comprise. Moi, j’ai ressenti une révérence, un sentiment d’humilité face à quelque chose de si vaste et ancien. »
Il marqua une pause, son regard se perdant dans les étoiles visibles par le hublot.
« Mais Vega… elle a perçu le pouvoir. Le potentiel de contrôle que représentait une telle entité. Elle s’est volontairement ouverte au Nexus, l’invitant à fusionner avec sa conscience. Quand nous sommes revenus, elle n’était plus tout à fait… humaine. »
« Que voulez-vous dire? » demanda Jules, un frisson parcourant son échine.
« Une partie du Nexus est revenue avec elle – un fragment de sa conscience qui a commencé à altérer la sienne. Au fil des ans, cette influence a grandi. Vega a progressé dans la hiérarchie de l’Académie, non pas grâce à ses seules compétences, mais en utilisant une forme subtile de manipulation mentale sur ceux qui l’entouraient. »
« Comme le Disperseur, mais à l’envers, » murmura Jules. « Au lieu de distraire, elle… focalise l’attention des autres sur ce qu’elle veut. »
« Exactement, » confirma Kepler. « Cygnus a été le premier à le remarquer. Il a tenté de prévenir l’Académie, mais personne ne l’a cru. Il a fini par disparaître mystérieusement lors d’une mission solo. Son corps n’a jamais été retrouvé. »
Un silence lourd s’abattit sur le cockpit. L’implication était claire: Vega avait probablement éliminé la seule personne qui connaissait sa véritable nature.
« Et maintenant, elle nous poursuit, » dit Phi, regardant les écrans de détection arrière. « Je détecte un vaisseau qui suit notre trajectoire. Petit, rapide… certainement pas un croiseur standard de l’Académie. »
« Elle a son propre Fragment, » rappela Jules. « Elle peut suivre le Nexus comme nous. »
Kepler hocha gravement la tête. « Nous devons atteindre le Nexus avant elle. C’est notre seule chance. »
Les heures suivantes furent tendues. L’Aurora poussait ses moteurs à leur limite, filant vers les coordonnées qui se précisaient à mesure que le Fragment pulsait plus intensément. Derrière eux, le vaisseau de Vega gagnait du terrain, inexorablement.
Puis, soudain, l’espace devant eux… ondula. Comme une vague à la surface d’un étang, une distorsion visible se propagea à travers le vide, déformant la lumière des étoiles.
« Le voilà, » murmura Kepler avec révérence. « Le Nexus se révèle. »
La distorsion s’amplifia, formant une sorte de tourbillon lumineux dont le centre émettait une lumière si pure qu’elle semblait presque solide. Des filaments d’énergie s’en échappaient, dansant comme des aurores boréales à l’échelle cosmique.
« C’est… magnifique, » souffla Phi.
Les orbes du Disperseur autour de Jules s’agitèrent frénétiquement, formant maintenant une spirale parfaite qui semblait refléter en miniature le tourbillon spatial devant eux.
« Jules, » dit Kepler doucement, « c’est à toi de nous guider maintenant. Le Disperseur en toi est connecté au Nexus. Il connaît le chemin. »
Jules hésita, incertain. « Comment? »
« Fais ce que tu as toujours considéré comme une faiblesse, » expliqua Kepler. « Laisse ton attention s’élargir. Observe tout, sans te concentrer sur rien en particulier. Laisse les connexions se former d’elles-mêmes. »
Jules ferma les yeux, respirant profondément. Pour la première fois de sa vie, il ne lutta pas contre la tendance de son esprit à vagabonder. Au contraire, il l’embrassa pleinement, laissant ses pensées s’étendre comme des vagues sur un océan infini.
Quand il rouvrit les yeux, le monde avait changé. Il voyait l’espace différemment – non plus comme un vide ponctué d’étoiles, mais comme un réseau complexe d’énergies interconnectées. Et dans ce réseau, il percevait clairement un chemin, une sorte de courant qui menait directement au cœur du Nexus.
« Je vois le chemin, » dit-il, sa voix étrangement calme. Il tendit les mains vers les commandes, et Kepler s’écarta, lui cédant le contrôle.
L’Aurora répondit à son toucher comme si elle était une extension de son corps. Jules navigua à travers les turbulences spatiales avec une précision qui aurait été impossible avec les instruments seuls. Il ne pilotait pas avec ses yeux ou ses mains, mais avec une conscience élargie qui percevait directement les flux énergétiques du Nexus.
Derrière eux, le vaisseau de Vega tentait de suivre la même trajectoire, mais sans le guidage intuitif de Jules, il luttait contre les forces invisibles qui protégeaient l’approche du Nexus.
« Elle n’arrivera pas à temps, » dit Phi, observant les écrans. « Nous avons pris de l’avance. »
L’Aurora plongea dans le tourbillon lumineux. Les systèmes du vaisseau s’affolèrent momentanément, puis se stabilisèrent. La lumière envahit le cockpit, si intense qu’elle semblait pénétrer directement dans leur esprit plutôt que simplement à travers leurs yeux.
Puis, aussi soudainement que cela avait commencé, tout se calma. Ils se trouvaient dans un espace différent – un vaste dôme de lumière pure à l’intérieur duquel flottaient des fragments de réalité: des paysages étranges, des structures géométriques impossibles, des formes de vie qui défiaient toute classification.
« Le Nexus, » murmura Kepler. « Nous sommes à l’intérieur. »
L’Aurora flottait doucement au centre de cet espace impossible. Jules sentit une étrange résonance, comme si le lieu lui-même reconnaissait sa présence. Les orbes du Disperseur autour de lui brillaient maintenant d’une lumière presque aveuglante, pulsant en synchronisation parfaite avec les vagues d’énergie qui traversaient le dôme.
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant? » demanda Toma, sa voix teintée d’émerveillement et d’appréhension.
« Jules doit établir le contact, » répondit Kepler. « Le Disperseur en lui est un fragment du Nexus. À travers cette connexion, il peut communiquer avec l’entité principale. »
Mais avant que Jules ne puisse réagir, une déchirure lumineuse apparut dans le dôme. Un second vaisseau émergea du vortex – plus petit et plus anguleux que l’Aurora, sa coque noire absorbant la lumière environnante plutôt que de la refléter.
« Vega, » grogna Kepler. « Elle a réussi à nous suivre. »
Le vaisseau noir se stabilisa à quelques centaines de mètres du leur. Un canal de communication s’ouvrit automatiquement, et le visage du Commandant Vega apparut sur l’écran principal.
« Professeur Kepler, » dit-elle, son visage calme mais ses yeux brillant d’une lueur inhabituelle. « Vous auriez dû savoir que je vous retrouverais. Le Nexus m’appelle depuis vingt ans. »
« Lyra, » répondit Kepler, utilisant son prénom comme pour rappeler leur ancienne camaraderie. « Ce que tu cherches à faire est dangereux. Le Nexus n’est pas un outil à exploiter, c’est une entité à respecter. »
« Respect? » Son rire était froid. « Le respect n’a pas fait avancer l’humanité, Kepler. C’est l’audace – la volonté de saisir le pouvoir quand il se présente. »
Son regard se posa sur Jules. « Le jeune Novastella comprend, n’est-ce pas? Il sent le potentiel, tout comme je l’ai senti. »
Jules frissonna sous ce regard. Il y avait quelque chose de profondément dérangeant dans les yeux de Vega – comme si quelque chose d’autre regardait à travers eux.
« Ne l’écoute pas, Jules, » avertit Kepler. « Ce n’est plus entièrement Vega qui parle. C’est le fragment du Nexus en elle, corrompu par son ambition. »
« Corrompu? » s’indigna Vega. « J’ai été perfectionnée! Améliorée! L’humanité stagne, Kepler. Nous avons besoin d’évolution, pas de statu quo. »
Pendant qu’ils parlaient, Jules remarqua un changement dans le comportement des orbes du Disperseur. Elles commençaient à former des motifs plus complexes, créant une sorte de langage visuel qu’il sentait, instinctivement, pouvoir comprendre.
« Le Nexus… me parle, » murmura-t-il, attirant l’attention de tous.
« Que dit-il? » demanda avidement Vega, son vaisseau se rapprochant du leur.
Jules ferma les yeux, se concentrant sur les messages que lui transmettaient les orbes.
« Il dit… qu’il n’est pas ce que nous croyons. Pas exactement une entité consciente, mais plutôt un… réseau. Un point de connexion entre toutes les consciences de l’univers. »
Ses mains se mirent à trembler légèrement alors que la compréhension l’envahissait.
« Les Disperseurs ne sont pas des parasites ou des intrus. Ce sont des… connecteurs. Des fragments du réseau envoyés pour établir des liens avec des esprits réceptifs. »
Kepler acquiesça lentement. « C’est ce que j’ai commencé à soupçonner après notre première visite. Le Nexus ne cherche pas à contrôler ou à dominer, mais à connecter. »
« Une connexion que nous pouvons utiliser! » s’exclama Vega, son visage s’animant d’une excitation presque fanatique. « Imagine, Jules – une humanité connectée par la pensée, guidée par ceux qui, comme nous, peuvent communiquer directement avec le Nexus. »
« Guidée… ou contrôlée? » répliqua Phi, intervenant pour la première fois.
Vega l’ignora, se concentrant uniquement sur Jules. « Tu sens ce pouvoir, n’est-ce pas? La capacité de voir plus loin, de comprendre plus profondément. Pourquoi limiter ce don? Pourquoi ne pas l’amplifier, l’utiliser pour guider les autres? »
Jules sentait effectivement ce potentiel. Les orbes du Disperseur lui montraient des possibilités vertigineuses – un esprit élargi, capable de percevoir et de comprendre des dimensions de la réalité normalement inaccessibles.
Mais il percevait aussi autre chose: un avertissement.
« Le Nexus n’est pas fait pour être utilisé par un seul esprit, » dit-il lentement. « Il est fait pour connecter, pour partager. Ce que vous proposez, Commandant… ce n’est pas une connexion. C’est une appropriation. »
Le visage de Vega se durcit. « Tu es jeune. Naïf. Tu ne comprends pas encore le plein potentiel de ce que nous avons découvert. »
« Je comprends que vous avez perdu votre chemin, Commandant, » répondit Jules avec une assurance qui surprit même ses amis. « Le fragment en vous a été corrompu par votre désir de pouvoir. Ce n’est pas ce que le Nexus désire. »
Vega rit froidement. « Et que désire-t-il alors, jeune sage? »
« L’harmonie, » dit simplement Jules. « Pas la domination. »
La communication fut brutalement coupée. Le vaisseau de Vega activa ses propulseurs, se dirigeant directement vers le centre du dôme, où une sphère d’énergie particulièrement intense pulsait comme le cœur du Nexus.
« Elle va tenter d’établir une connexion directe! » s’alarma Kepler. « Si elle y parvient, son fragment corrompu pourrait infecter l’ensemble du Nexus! »
« Que pouvons-nous faire? » demanda Toma, pianotant frénétiquement sur sa console pour tenter de trouver une solution technique.
Jules observa les mouvements des orbes autour de lui, comprenant soudain leur message.
« Je dois y aller aussi, » dit-il, se levant de son siège. « Je dois établir la connexion avant elle. »
« C’est trop dangereux, » protesta Phi, attrapant son bras. « Jules, on ne sait pas ce qui arriverait à ton esprit! »
« Le Disperseur me protégera, » affirma-t-il avec une certitude qui venait de quelque part au-delà de sa compréhension consciente. « Il s’est préparé pour ce moment depuis qu’il m’a trouvé. »
Kepler étudia Jules intensément, puis hocha lentement la tête. « Il a raison. Le Disperseur l’a choisi précisément pour cela – pour rétablir l’équilibre. »
« Mais comment vas-tu même sortir du vaisseau? » demanda Toma. « On ne peut pas simplement ouvrir une écoutille dans… quoi que soit cet endroit! »
En réponse, les orbes du Disperseur commencèrent à tourbillonner autour de Jules, formant une sphère lumineuse qui l’enveloppait complètement.
« Je pense que ça ne sera pas un problème, » dit Jules avec un petit sourire.
La coque de l’Aurora s’ouvrit – non pas physiquement, mais comme si la matière elle-même reconnaissait la présence du Disperseur et s’écartait pour le laisser passer. Jules flotta hors du vaisseau, entouré de son cocon de lumière, se dirigeant vers le cœur du Nexus.
Dans l’espace impossible du dôme, il n’y avait ni haut ni bas, ni froid ni chaleur. Jules se déplaçait par la seule force de sa volonté, guidé par le Disperseur qui semblait maintenant pleinement synchronisé avec ses pensées.
Devant lui, le vaisseau de Vega avait également libéré son passager. Le Commandant flottait vers le cœur du Nexus, entourée d’une aura rougeâtre qui contrastait vivement avec la lumière dorée qui enveloppait Jules.
Leurs regards se croisèrent dans le vide. Pendant un bref instant, Jules crut voir deux Vega superposées – l’ambitieuse mais brillante cadette qu’elle avait été, et l’entité hybride qu’elle était devenue, consumée par sa soif de pouvoir.
Le cœur du Nexus pulsait entre eux, une sphère d’énergie pure où des millions de filaments lumineux s’entrecroisaient, formant un réseau d’une complexité vertigineuse.
« Un seul d’entre nous peut établir la connexion primaire, » dit Vega, sa voix résonnant directement dans l’esprit de Jules. « Recule maintenant, et je te garantirai une place privilégiée dans le nouvel ordre. »
« Il n’y aura pas de ‘nouvel ordre’, » répondit Jules, sa propre voix étrangement amplifiée par le Disperseur. « Le Nexus n’est pas un outil de pouvoir. C’est un pont entre les consciences. »
Ils atteignirent simultanément la périphérie du cœur. Des tentacules d’énergie s’en échappèrent, s’enroulant autour de chacun d’eux comme pour les examiner.
Jules sentit une présence immense toucher son esprit – ancienne au-delà de toute compréhension humaine, mais aussi curieuse qu’un enfant découvrant un nouveau jouet. Le Nexus explorait sa conscience avec une délicatesse surprenante, comme s’il craignait de le blesser.
À côté de lui, Vega semblait en transe, son visage oscillant entre l’extase et la douleur alors que son fragment corrompu tentait de prendre le contrôle de la connexion.
« Vous avez mal compris, » dit Jules, s’adressant autant à Vega qu’au Nexus lui-même. « Le pouvoir du Disperseur n’est pas dans le contrôle, mais dans l’expansion de la conscience. »
Il ouvrit complètement son esprit, accueillant non seulement le Disperseur mais l’essence même du Nexus. Au lieu de tenter de le diriger ou de le contrôler, il l’invita simplement à partager sa perspective – à voir le monde à travers ses yeux, avec ses espoirs, ses peurs, et ses rêves.
Cette ouverture totale créa une résonance qui se propagea à travers tout le Nexus. Les filaments d’énergie autour de Jules brillèrent plus intensément, pulsant au rythme de son propre cœur.
Vega, sentant qu’elle perdait l’avantage, tenta de forcer la connexion. « Je ne laisserai pas un enfant naïf gâcher vingt ans de préparation! » cria-t-elle, son aura rougeâtre s’intensifiant alors qu’elle projetait sa volonté vers le cœur du Nexus.
Mais quelque chose d’inattendu se produisit. Au lieu de rejeter Vega, le Nexus l’accueillit également – mais pas de la manière qu’elle espérait. Les filaments d’énergie l’enveloppèrent doucement, non pas pour se soumettre à sa volonté, mais pour isoler et neutraliser le fragment corrompu qui l’habitait depuis si longtemps.
Vega cria – un son qui n’était pas entièrement humain – alors que le fragment était délicatement extrait de sa conscience, retournant à sa source pour être purifié et réintégré.
Jules observait, fasciné, ce processus de guérison. Il comprenait maintenant que le Nexus n’était ni bon ni mauvais – il était simplement un reflet des consciences qui interagissaient avec lui. La corruption de Vega venait non pas du Nexus lui-même, mais de sa propre ambition démesurée qui avait déformé sa connexion.
Pendant ce temps, sa propre connexion s’approfondissait. Le Disperseur en lui fusionnait harmonieusement avec sa conscience, non pas en la submergeant mais en l’élargissant. Jules commença à percevoir des dimensions de la réalité qu’il n’avait jamais soupçonnées – des courants d’énergie traversant l’univers, les pensées distantes d’autres êtres connectés au Nexus, les échos d’anciennes civilisations qui avaient découvert cette connexion bien avant l’humanité.
Mais au milieu de cette expansion vertigineuse, une prise de conscience cristalline émergea: le véritable pouvoir du Disperseur, du Nexus, n’était pas de voir tout ou de tout contrôler. C’était la capacité de choisir où diriger son attention, de discerner ce qui était véritablement important.
« La concentration n’est pas l’absence de distraction, » murmura Jules, la révélation le traversant comme une onde de choc. « C’est le choix conscient de ce qui mérite notre attention. »
Le Nexus sembla résonner avec cette compréhension, comme si Jules avait exprimé une vérité fondamentale de son existence même.
Un changement subtil s’opéra alors. Les orbes du Disperseur, qui avaient été des entités séparées flottant autour de lui, commencèrent à s’intégrer à sa perception. Elles ne disparurent pas – elles devinrent des extensions de sa conscience, des outils lui permettant de diriger son attention de manière plus fluide et intentionnelle.
À quelques mètres de lui, Vega flottait, inconsciente mais paisible, le fragment corrompu complètement retiré de son être. Le Nexus l’avait épargné, comprenant que sa corruption n’était pas entièrement de sa faute.
Le cœur du Nexus pulsa une dernière fois, plus intensément, et Jules comprit qu’il était temps de partir. Sa mission était accomplie – non pas de détruire ou de contrôler le Disperseur, mais d’établir une symbiose harmonieuse avec lui.
Il tendit la main vers Vega, l’attirant doucement à lui, et ensemble ils retournèrent vers les vaisseaux qui les attendaient. L’Aurora accueillit Jules avec une ouverture dans sa coque qui se referma derrière lui comme une membrane vivante. Il déposa délicatement Vega sur le sol du cockpit, où Phi et Toma l’accueillirent avec des expressions mêlant soulagement et émerveillement.
« Jules, » murmura Kepler, observant le jeune garçon avec un respect nouveau. « Tes yeux… »
Jules se tourna vers une surface réfléchissante et vit ce qui avait surpris le vieux navigateur. Ses iris, autrefois d’un bleu ordinaire, brillaient maintenant d’une lueur dorée subtile – la marque visible de sa connexion permanente avec le Disperseur, avec le Nexus.
« Que s’est-il passé là-bas? » demanda Phi, regardant alternativement son frère et la commandante inconsciente.
« J’ai compris, » répondit simplement Jules. « J’ai compris ce qu’est vraiment le Disperseur, ce qu’il a toujours été. Pas un parasite qui vole mon attention, mais un guide qui m’aide à la diriger plus consciemment. »
« Et Vega? » s’enquit Toma, s’agenouillant près d’elle pour vérifier ses signes vitaux.
« Guérie, je pense, » dit Jules. « Le Nexus a retiré le fragment corrompu qui l’influençait depuis toutes ces années. Quand elle se réveillera, elle sera… elle-même. Peut-être pour la première fois depuis deux décennies. »
Le dôme lumineux autour d’eux commença à pulser rythmiquement, signalant qu’il était temps de partir. Kepler reprit les commandes de l’Aurora, guidant le vaisseau vers ce qui semblait être une ouverture dans le tissu même de la réalité.
« Le Nexus nous renvoie, » expliqua-t-il. « Notre présence ici n’est plus nécessaire. »
L’Aurora traversa l’ouverture, suivie par le vaisseau de Vega, piloté à distance par le Nexus lui-même. Le tourbillon d’énergie se referma derrière eux, et ils se retrouvèrent dans l’espace normal, les étoiles familières brillant autour d’eux.
Mais pour Jules, le monde ne serait plus jamais le même. Les orbes du Disperseur faisaient maintenant partie intégrante de sa perception – non plus des distractions, mais des focalisateurs, l’aidant à voir des connexions et des possibilités que personne d’autre ne pouvait percevoir.
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Trois mois s’étaient écoulés depuis leur retour à l’Académie Spatiale. Les événements de l’expédition au Nexus avaient été classifiés au plus haut niveau, connus seulement d’un petit cercle d’officiels. Le Commandant Vega, après une période de convalescence, avait repris ses fonctions – transformée, plus bienveillante, libérée du fragment corrompu qui avait obscurci son jugement pendant si longtemps.
Jules se tenait devant le Grand Simulateur, attendant son tour pour l’examen final de navigation stellaire. Autour de lui, les autres cadets révisaient frénétiquement leurs manuels ou pratiquaient mentalement les manœuvres complexes qu’ils devraient exécuter.
Phi s’approcha, posant une main sur son épaule. « Nerveux, petit frère? »
Jules sourit. « Étrangement, non. » Et c’était vrai. Les orbes du Disperseur dansaient paisiblement autour de lui, visibles à lui seul, l’aidant à maintenir un état de calme alerte.
Depuis leur retour, ses résultats académiques s’étaient transformés. Non seulement il n’était plus distrait en classe, mais il démontrait une compréhension intuitive des concepts les plus complexes, particulièrement en navigation stellaire et en astro-cartographie.
« Cadet Novastella, » appela une voix. Le Commandant Vega se tenait à l’entrée du Simulateur, son visage serein, ses yeux clairs et directs – si différents de l’intensité presque prédatrice qu’ils avaient autrefois. « Vous êtes le prochain. »
Jules entra dans le Simulateur, prenant place aux commandes avec une confiance tranquille. Le scénario qui apparut était le plus difficile jamais proposé à un cadet de première année – naviguer à travers un système stellaire en effondrement tout en effectuant des calculs de saut spatio-temporel précis.
Mais pour Jules, la complexité n’était plus une source d’anxiété. Les orbes du Disperseur l’aidaient à voir les schémas, les connexions, à traiter l’information non pas de façon linéaire mais globale.
Ses mains dansèrent sur les contrôles avec une précision presque surnaturelle. Il ne pilotait plus simplement le vaisseau – il ressentait l’espace autour de lui, percevant intuitivement les courants gravitationnels, les fluctuations énergétiques, les trajectoires optimales.
Quand la simulation s’acheva, un silence stupéfait régna dans la salle de contrôle. Jules avait non seulement réussi le scénario, mais établi un nouveau record absolu, surpassant même les performances des instructeurs.
« Impressionnant, Cadet, » dit simplement Vega, mais ses yeux reflétaient une compréhension plus profonde. Elle savait ce qui avait changé en lui, car elle-même avait été transformée par le Nexus.
Plus tard ce jour-là, Kepler, Phi, Toma et Jules se retrouvèrent dans le petit dôme envahi par la végétation qui servait de résidence au vieux navigateur.
« À Jules Novastella, » déclara Kepler, levant une tasse de thé en guise de toast, « le plus jeune Navigateur Stellaire Adjoint jamais nommé à l’Académie Spatiale. »
Les autres levèrent leurs tasses, célébrant la promotion exceptionnelle que Jules avait reçue après sa performance au Simulateur.
« Je ne comprends toujours pas complètement ce qui s’est passé, » admit Toma, sirotant son thé. « Comment as-tu transformé ce qui était une distraction en… eh bien, en superpouvoirs de navigation? »
Jules sourit, observant les orbes qui dansaient maintenant paisiblement autour de lui, visibles uniquement à ses yeux.
« Je n’ai pas éliminé la distraction, » expliqua-t-il. « J’ai appris à l’accepter comme une partie de moi. Le Disperseur n’a jamais été mon ennemi – il était un guide qui attendait que je comprenne son langage. »
« Le paradoxe de l’attention, » intervint Kepler, hochant la tête avec approbation. « En cessant de lutter contre la distraction, en l’acceptant comme une forme différente de perception, tu as découvert une concentration plus profonde et plus flexible. »
Phi, qui avait été silencieuse, posa une question qui la préoccupait depuis leur retour: « Est-ce que… est-ce que cela changera qui tu es, Jules? Le Nexus, le Disperseur… est-ce que tu es toujours toi-même? »
Jules prit sa main, la serrant doucement. « Je suis plus moi-même que je ne l’ai jamais été, Phi. Le Disperseur n’a pas remplacé qui je suis – il m’a aidé à découvrir qui je pouvais être. Ma curiosité, mon impatience, ma tendance à rêver… ce n’étaient jamais des défauts. Juste des façons différentes de percevoir le monde. »
Il leva les yeux vers la coupole transparente au-dessus d’eux, où les étoiles commençaient à apparaître dans le ciel nocturne artificiel de l’Académie.
« Les étoiles ont toujours été là, » dit-il doucement. « Je vois simplement plus clairement les chemins qui les relient. »
Un orbe particulièrement brillant dansa devant ses yeux, comme pour approuver ses paroles. Jules sourit, sachant que son voyage ne faisait que commencer. Le Nexus, le Disperseur, l’univers lui-même – tous étaient connectés dans une symphonie d’attention et de conscience que seul un esprit ouvert pouvait véritablement percevoir.
Et quelque part, dans les profondeurs de l’espace, le Nexus continuait de pulser, attendant patiemment que d’autres esprits découvrent que ce qu’ils considéraient comme des distractions pouvait, avec la bonne perspective, devenir leur plus grande force.
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L’aventure continue !
Identifiant de l’histoire : 32